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La bande dessinée belge après la Seconde Guerre mondiale, entre héritage local et aspirations globales.

Après la Seconde Guerre mondiale, la Belgique connaît une effervescence culturelle notable, notamment grâce au lancement du Journal de Tintin en 1946 par l'éditeur belge Raymond Leblanc. Ce hebdomadaire devient un acteur central dans le monde de la bande dessinée francophone, établissant la Belgique comme un pôle majeur pour ce genre artistique. Le succès du Journal de Tintin permet à la bande dessinée belge de se faire connaître à l'international, avec des créateurs tels qu'Hergé, le célèbre auteur de Tintin, qui contribuent à la renommée de cette nouvelle ère.

Le Journal de Tintin joue un rôle crucial en offrant une tribune prestigieuse aux talents belges. Les aventures de Tintin, dessinées par Hergé, captivent les lecteurs avec leur mélange d'aventure, d'humour et de rigueur documentaire. Cette visibilité internationale établit la Belgique comme un centre névralgique de la bande dessinée, influençant le développement du genre au niveau mondial.

Cependant, dès les années 1950, les maisons d'édition belges, désireuses de capter une audience plus large, notamment en France, commencent à imposer des normes commerciales qui tendent à uniformiser les contenus. Cette tendance vers une plus grande homogénéité se traduit par une dilution des éléments culturels spécifiques à la Belgique. Par exemple, dans les bandes dessinées publiées dans le Journal de Tintin, les uniformes et les panneaux de signalisation sont dessinés selon des critères hexagonaux, adaptés aux attentes françaises, ce qui gomme certaines spécificités locales.

Malgré cette orientation vers un style plus universel, les créateurs belges trouvent des moyens de préserver des éléments de leur patrimoine culturel. Hergé, par exemple, intègre des références subtiles à Bruxelles et à la culture belge dans ses récits, même lorsque le cadre semble plus global.

Parallèlement, Peyo, bien qu’il publie dans le Journal de Spirou plutôt que dans le Journal de Tintin, joue également un rôle essentiel dans l’évolution de la bande dessinée belge. Les Schtroumpfs, ses personnages emblématiques, apparaissent dans un contexte où la tendance à l'uniformisation est déjà bien avancée. Néanmoins, Peyo réussit à maintenir une dimension locale dans ses œuvres.

Un exemple particulièrement significatif de cette approche est l'album "Schtroumpf vert et vert schtroumpf". Dans cet album publié en 1966, Peyo aborde de manière satirique et caricaturale le conflit linguistique entre Wallons et Flamands en Belgique. L'histoire met en scène une querelle entre les Schtroumpfs sur la manière correcte d'utiliser le langage « schtroumpf ». Les habitants du nord du village préfèrent utiliser des termes comme « tire-bouschtroumpf », tandis que ceux du sud optent pour « schtroumpf-bouchon ». Ce débat linguistique, apparemment banal au début, dégénère et conduit à la création d'une frontière divisant le village, compliquant ainsi la vie des Schtroumpfs. Cette histoire illustre non seulement les tensions linguistiques en Belgique mais aussi le talent de Peyo pour traiter des questions sociales avec humour et subtilité.

En utilisant les Schtroumpfs pour explorer les rivalités régionales, Peyo parvient à intégrer des éléments culturels locaux tout en offrant une critique sociale perspicace. L'album est un exemple parfait de la manière dont la bande dessinée peut servir de miroir aux réalités socioculturelles, tout en s’adaptant aux attentes commerciales du marché.

Ainsi, bien que les années 1950 et 1960 aient été marquées par une tendance à l’uniformisation dans le monde de la bande dessinée, les créateurs belges comme Hergé et Peyo ont su naviguer entre les exigences commerciales et la préservation de leur patrimoine culturel. Leur capacité à intégrer des éléments locaux et à traiter des questions sociales avec finesse contribue à la richesse et à l'influence durable de la bande dessinée belge sur la scène internationale.

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