C’est une véritable œuvre d’art, un joyau de papier aussi rare que somptueux, qui s’apprête à prendre la lumière :...
Les inédits de Sibylline dans le Journal Spirou (1983-1990).
Entre 1983 et 1990, une série d'inédits de Sibylline a vu le jour dans les pages du Journal Spirou. Pour les amateurs du travail de Raymond Macherot, c'était une période à la fois intrigante et mystérieuse. En effet, de nombreux lecteurs qui connaissaient bien les grands classiques du dessinateur n'avaient jamais entendu parler de ces histoires. Les titres étaient méconnus, éparpillés, et, à l'époque, il était facile de les négliger dans l'abondance des autres publications de la revue.
Cependant, pour les curieux qui s’aventuraient à lire ces planches, une découverte fascinante les attendait. La carrière de Macherot, après tout, n'était pas terminée avec Sibylline et le Kulgude (1985), contrairement à ce que beaucoup pensaient. Ce douzième album de la série, souvent considéré comme le dernier, semblait marquer la fin d’une époque pour l’auteur. Et pourtant, une énergie particulière se dégageait de cet ultime ouvrage publié en volume, laissant entendre que le crépuscule de Macherot était loin d’être aussi définitif.
L'ombre des récits oubliés
Ce qui est surprenant, c’est qu’après Sibylline et le Kulgude, pas moins de 260 planches inédites ont été publiées dans Spirou. Ces planches, disséminées au fil des numéros, n’ont jamais été rassemblées dans un album à part entière, et cela contribue sans doute à leur oubli. L'œuvre de Macherot, souvent cantonnée à quelques figures de proue comme Chlorophylle ou Chaminou, a pâti d’une réputation selon laquelle son travail tardif serait "moins bon", voire "incohérent". Une critique injuste qui ne semble pas prendre en compte l’évolution artistique de l’auteur, ni l’énergie créatrice qui habite ces planches.
Les histoires inédites de Sibylline témoignent pourtant d’une grande liberté narrative. Libéré des contraintes éditoriales qui pesaient sur lui dans les années 60, Macherot s’autorise une forme d’exploration quasi onirique dans ces récits, souvent teintés d’absurde et d’humour noir. La faune bucolique qui peuplait autrefois le petit monde de Sibylline s’assombrit, les intrigues deviennent plus complexes, parfois même déroutantes. Pour beaucoup, cette période marque une déviation par rapport à la tradition classique, mais pour d’autres, elle représente un terrain d’expérimentation fascinant.
La chasse aux trésors oubliés
En tant que collectionneur passionné, la quête de ces récits perdus a pu devenir une aventure en soi. À Montréal, dans les bouquineries où les livres anciens côtoient des raretés de bandes dessinées, il n’était pas rare de tomber sur un Macherot usé par le temps, ayant survécu aux aléas des caves et des greniers. Chaque découverte, chaque volume trouvé, qu'il s'agisse de Célimène ou de Chaminou, apportait un peu de cette satisfaction que ressentent les collectionneurs face à des œuvres qui auraient pu disparaître dans l'oubli.
C’est dans ce contexte qu’un jour, Sibylline et le Kulgude a fait son apparition dans une boutique poussiéreuse, marquant une nouvelle étape dans l’appréciation de l’œuvre de Macherot. Loin d’être un simple épilogue, cet album vibrait encore d’une énergie crépusculaire, comme un feu d’artifice tardif dans la carrière de l’auteur. Pourtant, ce que beaucoup ne savaient pas, c’est que les histoires de Sibylline ne s’étaient pas arrêtées là. En feuilletant des monographies et des bibliographies, la révélation était stupéfiante : une série d'inédits attendait encore d'être redécouverte dans les pages du Journal Spirou.
Une période déconsidérée, mais riche
Malgré leur richesse, ces inédits n'ont jamais reçu la considération qu'ils méritaient. Lecteurs et critiques de l’époque semblaient unanimes : cette période tardive de Macherot était mineure, sans direction précise. On accusait ces histoires de manquer de la rigueur des premières œuvres comme Chlorophylle, et Dupuis, l'éditeur de Macherot, n'a jamais fait l'effort de les publier en albums, condamnant ainsi ces planches à l’oubli.
Cette critique, souvent adressée à de nombreux auteurs en fin de carrière, repose en partie sur un malentendu. Macherot, comme tout artiste évoluant dans le temps, a changé. Son style a mûri, ses récits se sont assombris, mais cela ne signifie pas pour autant que la qualité de son œuvre ait décliné. Au contraire, ces inédits témoignent d’un esprit créatif encore en pleine effervescence, refusant de s’arrêter à une formule établie.
Réhabiliter une œuvre méconnue
Aujourd’hui, les inédits de Sibylline mériteraient sans doute d’être rassemblés en volume, non seulement pour rendre hommage à un créateur en quête constante de nouvelles formes narratives, mais aussi pour offrir aux lecteurs l’opportunité de redécouvrir une facette moins connue de l’univers de Macherot. À une époque où la bande dessinée classique fait l’objet de multiples rééditions, il serait pertinent de mettre en lumière ces planches dispersées, véritables joyaux cachés.
Ces récits inédits, aussi déconcertants soient-ils pour certains, ajoutent une nouvelle dimension à la compréhension de l'œuvre de Macherot. Ils révèlent un auteur qui, jusqu'à la fin, a exploré les limites de son univers tout en jouant avec les attentes de son public. Leur publication en un seul recueil permettrait enfin de réhabiliter cette période trop longtemps négligée et de lui rendre la place qu’elle mérite dans le panthéon de la bande dessinée franco-belge.
Les inédits de Sibylline, parus dans le Journal Spirou entre 1983 et 1990, constituent un chapitre passionnant et méconnu de l'œuvre de Raymond Macherot. Trop souvent jugés mineurs, ces récits offrent en réalité une vision complexe et déroutante d'un univers en constante évolution. Les collectionneurs et les lecteurs curieux, en quête de nouvelles découvertes, trouveront dans ces planches une source inépuisable d’émerveillement et d’exploration narrative. La réédition de ces œuvres serait une formidable occasion de réhabiliter un auteur dont le talent n'a jamais cessé de surprendre, même dans les dernières pages de sa carrière.
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