C’est une véritable œuvre d’art, un joyau de papier aussi rare que somptueux, qui s’apprête à prendre la lumière :...
Hergé et l'influence controversée de l'abbé Wallez : une relation trouble entre amitié et idéologie.
L’histoire d’Hergé, créateur du célèbre personnage Tintin, est intimement liée à celle de Norbert Wallez, un abbé aux convictions nationalistes et autoritaires, dont l’influence sur le jeune dessinateur a laissé des marques indélébiles. Leur relation, qui débute en 1928, s’étend sur plusieurs décennies, tissant un lien fort entre l’artiste et son mentor, même lorsque ce dernier se retrouve emprisonné après la Seconde Guerre mondiale pour haute trahison. Dans cet article, nous explorerons la complexité de cette relation, tout en soulignant l’impact profond qu’a pu avoir l’idéologie de Wallez sur l’œuvre d’Hergé, notamment à travers ses choix narratifs et graphiques.
L’abbé Wallez : figure paternelle et mentor politique
L’abbé Norbert Wallez n’est pas simplement un prêtre ; il est aussi une figure emblématique du cléricalisme autoritaire de la première moitié du XXe siècle. Directeur du journal Le Vingtième Siècle, c’est lui qui, en 1929, donne à Hergé l’opportunité de publier les aventures de Tintin dans son supplément pour la jeunesse. Pour le jeune Georges Remi (Hergé), cet homme représente bien plus qu’un simple employeur : il devient un guide, voire un modèle. Hergé lui vouera, jusqu’à la fin de sa vie, un respect profond, le considérant non pas comme un collaborateur ou un fasciste notoire, mais comme un patriote au « fervent amour pour son pays ». Même en 1945, alors que Wallez est emprisonné pour haute trahison, Hergé prend sa défense, exprimant son indignation dans une lettre où il déplore que son mentor soit traité « pis qu’un malfaiteur ».
Cette loyauté à l’égard de l’abbé, qu’Hergé a rencontré en 1928, soulève cependant des questions sur l’influence de cet homme aux idées réactionnaires sur le créateur de Tintin. Marcel Wilmet, dans son ouvrage consacré à l’artiste, souligne cette proximité idéologique qui, bien que non revendiquée publiquement par Hergé, transparaît dans certaines de ses œuvres.
L’impact de Wallez sur l’œuvre d’Hergé : une influence sous-jacente
Bien qu’Hergé ait toujours évité de s’associer directement au militantisme de son mentor en faveur de l’Ordre Nouveau, l’influence idéologique de Wallez est perceptible, notamment dans l’un des albums les plus controversés de la série Tintin : L’Étoile mystérieuse. Publié en pleine occupation allemande de la Belgique, entre 1941 et 1942, cet album est publié dans Le Soir volé, un journal sous contrôle de l’occupant nazi.
Dans L’Étoile mystérieuse, certains passages reflètent des thèmes antisémistes et anti-américains. Deux personnages juifs, Isaac et Salomon, y sont représentés de manière caricaturale, se frottant les mains à l’idée de profiter de la fin du monde pour s’enrichir. Plus loin, le méchant principal de l’intrigue, un banquier américain nommé Blumenstein, incarne le stéréotype du « Juif de finance », une représentation antisémite courante dans les discours de l’époque. Ce personnage, selon Wilmet, serait un avatar fictif d’Alfred Loewenstein, un homme d’affaires juif qui avait autrefois sauvé Le Vingtième Siècle de la faillite avant d’en être évincé par Wallez.
L’impact de Wallez sur Hergé ne se limite donc pas à une relation personnelle ; il se traduit également dans certaines des œuvres de l’artiste, où les idéologies de son mentor semblent avoir trouvé une résonance, qu’elle soit consciente ou inconsciente.
Germaine Kieckens et l’entourage d’Hergé : une fidélité idéologique inébranlable
L’influence de l’abbé Wallez sur Hergé s’étend également à travers l’entourage immédiat de l’artiste, notamment via Germaine Kieckens, la première épouse d’Hergé. Secrétaire de Wallez avant de devenir la femme du dessinateur, Kieckens reste, jusqu’à sa mort, attachée aux idées d’extrême-droite. Elle continue de fréquenter des figures telles que Léon Degrelle, fondateur du mouvement rexiste et collaborateur notoire. La proximité d’Hergé avec ces personnalités troubles ne faiblira pas, même après la guerre.
Un exemple frappant de cette loyauté se retrouve dans la relation entre Hergé et Jean Vermeire, plus connu sous le pseudonyme de JIV. Journaliste au Vingtième Siècle, Vermeire s’engage après la disparition du journal en 1940 au Pays Réel, un quotidien d’extrême-droite, avant de devenir correspondant de guerre pour la Légion SS Wallonie. Malgré son passé collaborationniste, Vermeire sera accueilli à bras ouverts par Hergé après sa libération en 1951, qui lui propose même de travailler dans son atelier. Hergé aurait alors déclaré à Vermeire : « Je n’ai pas d’amis comme ça, mes amis ont tous été dans la collaboration. »
Le rôle controversé de l’abbé Wallez : une dérive idéologique ?
La figure de Norbert Wallez demeure au cœur des questionnements sur l’évolution politique et morale d’Hergé. Si le créateur de Tintin n’a jamais ouvertement adhéré au fascisme ni au nazisme, son silence, sa fidélité à ses amis collaborateurs et certaines représentations problématiques dans ses albums laissent entrevoir une influence durable du mentor sur l’homme. Marcel Wilmet conclut à une « responsabilité profonde » de l’abbé Wallez dans ce qu’il décrit comme un « égarement historique » de l’artiste.
En mettant en lumière cette relation complexe, Wilmet nous invite à réfléchir sur le rôle des figures d’autorité dans la formation des jeunes esprits et sur l’importance de garder un œil critique face aux idéologies qui peuvent façonner des œuvres artistiques. Les livres anciens consacrés à Hergé et à son entourage, comme ceux de Wilmet, offrent des clés précieuses pour comprendre comment une figure aussi emblématique que Tintin a pu émerger dans un contexte politique aussi troublé.
Hergé, entre admiration et aveuglement
L’admiration d’Hergé pour Norbert Wallez est indéniable et traverse les années, même lorsque l’abbé est accusé de trahison. Cette loyauté interroge sur l’influence des mentors et l’impact qu’ils peuvent avoir sur la vision du monde de leurs protégés. Si Hergé s’est toujours défendu d’avoir été un collaborateur ou d’avoir adopté les idées de l’Ordre Nouveau, certaines de ses œuvres trahissent une proximité avec ces idéologies, nourrie par son environnement proche et les personnalités qu’il fréquentait.
Aujourd’hui encore, la question de l’influence de Wallez sur Hergé reste un sujet de débat. Quoi qu’il en soit, la figure de l’abbé continue de hanter l’histoire du créateur de Tintin, qui, malgré son génie artistique, n’a jamais su ou voulu couper les ponts avec ceux qui, comme Wallez, ont emprunté le chemin sombre de la collaboration.
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